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La mort de Léonard Gianadda, entrepreneur suisse, mécène et bâtisseur

Il avait eu plusieurs vies, tour à tour reporter-photographe, ingénieur, promoteur immobilier, créateur d’une fondation d’art en Suisse et de bien d’autres choses encore. Un homme riche, mais simple : la seule fois où on l’a vu porter une cravate, un nœud papillon en l’occurrence, c’est lorsqu’il revêtit l’habit vert pour son entrée à l’Académie des beaux-arts, en 2003. La France honorait ainsi le mécène, impliqué dans le fonctionnement de plusieurs de ses institutions. En 2022 encore, il offrait la statue en bronze de Victor Hugo par Rodin à la ville de Besançon. Léonard Gianadda est mort des suites d’un cancer, à Martigny (Suisse), le 3 décembre. Il avait 88 ans.
Né le 23 août 1935, à Martigny, il se plaisait à raconter l’aventure de la famille, depuis son grand-père Battista, venu d’Italie à pied, en 1886, « avec ses chaussures sur les épaules pour ne pas les abîmer », précisait-il, non sans une certaine coquetterie. Fuyant la misère du Piémont, Battista devient manœuvre sur les chantiers du Valais, prend des cours du soir, jusqu’à fonder, en 1906, son entreprise de construction. Son fils prend le relais, développe l’affaire, et ses petits-enfants après lui. Après une jeunesse passée à voyager, son appareil photo ne le quittant jamais, Léonard Gianadda rejoint ses frères, Jean-Claude et Pierre, dans l’entreprise familiale, puis crée, en 1961, son propre bureau d’études, qui se développe remarquablement : on estime à 1 500 le nombre de logements construits à Martigny.
Point d’orgue, un immeuble de seize étages, lancé en 1972. Le projet est interrompu dès le creusement des fondations : elles mettent au jour un temple dédié à Mercure, datant au Ier siècle de notre ère. Les fouilles archéologiques révèlent quelques trésors : Martigny est une cité gallo-romaine, étape alors importante sur la route qui relie l’Italie au nord de l’Europe. Malgré l’obtention d’un permis de construire, Léonard et Pierre Gianadda hésitent sur la suite à donner à cette entreprise, lorsqu’un drame change la donne : Pierre meurt en 1976 dans un accident d’avion, en essayant d’extraire une passagère de l’appareil en feu.
Léonard Gianadda décide de donner le nom de son frère à une fondation, qui s’élèvera sur le site archéologique en le pérennisant et le protégeant. Maintenant qu’il n’est plus (il était susceptible à ce sujet, dans la mesure où c’est lui qui l’avait dessiné), on peut le dire : le bâtiment, quintessence du style brutaliste, est assez laid. Mais il remplit parfaitement sa fonction, qui est de protéger, comme un bunker, les vestiges antiques. Il ne se limite pas à l’archéologie, il y organise immédiatement des concerts : Cecilia Bartoli, pour ne citer qu’elle (il y eut aussi Hendricks, Menuhin ou Rostropovitch…), en donnera, au fil des ans, plus de trente-cinq. Puis lui vient l’idée d’y montrer de l’art moderne, ce pour quoi le lieu est bien moins pratique. Il se lance néanmoins, en imaginant une exposition trop ambitieuse, ratée et démolie par un critique local, André Kuenzi (1916-2005). « Je voulais lui casser la figure, racontait Léonard Gianadda, mais il avait raison. Alors je lui ai demandé s’il pouvait faire mieux : il m’a organisé nos premiers succès, d’abord Picasso, puis Klee… »
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